1984. Le Tribunal constitutionnel autrichien est, en Autriche, le dernier recours pour les cas touchant à la Constitution. Il a rendu en décembre 2001 une décision très controversée permettant que les panneaux de signalisation soient

en slovène et en allemand dans la province de la Carinthie, où 10 pour cent de la population est slovène. Jörg Haider, gouverneur de la Carinthie, s’est opposé à cette décision.

Au mois de mars, David MacDonald, du Forum des fédérations, s’entretenait avec

M. Adamovich, à Vienne, pour Fédérations. L’entretien portait sur le rôle du Tribunal constitutionnel de l’Autriche et l’expérience

de M. Adamovich en tant que juge.

Fédérations : Le Tribunal constitutionnel autrichien est un des plus anciens tribunaux au monde. Le Tribunal constitue-t-il le noyau du fédéralisme autrichien?

Adamovich : Oui, le Tribunal statue sur des questions touchant au fédéralisme. La Constitution permet à chaque Land (province autrichienne) de contester la constitutionnalité d’une loi fédérale devant le Tribunal constitutionnel. De la même manière, le gouvernement fédéral peut contester le statut parlementaire de chaque Land. Le Tribunal statue aussi sur les questions de répartition des pouvoirs entre la Fédération et les Länder.

cet événement a-t-il influencé le fédéralisme autrichien et votre Tribunal?

Nous n’avions qu’à déterminer qui est responsable de prendre les décisions en matière de droit européen. Si la question relève des tribunaux ordinaires, il ne fait aucun doute que la Cour suprême doit statuer, surtout dans les cas concernant la relation entre les lois de l’Union européenne et les lois intérieures. Mais on pouvait se demander s’il revenait au Tribunal administratif ou au Tribunal constitutionnel de statuer sur une question qui relève des organes administratifs et qui touche à la relation entre les lois de l’Union européenne et les lois intérieures. Il y a quatre ou cinq ans, le Tribunal constitutionnel a jugé que c’était au Tribunal administratif de statuer sur ces questions. Le Tribunal constitutionnel ne statue que sur quelques cas spéciaux.

En règle générale, le Tribunal constitutionnel n’a pas à statuer sur la plupart des questions parce que, en vertu de notre système légal, le droit européen n’occupe pas le même rang que le droit constitutionnel. L’entrée de l’Autriche dans l’Union européenne en 1994 a donné lieu à une refonte totale de la Constitution parce que le droit européen touchait à la plupart des principes fondamentaux de la Constitution, notamment la démocratie, le fédéralisme, la répartition (partage) des pouvoirs et la suprématie du droit. La délégation des pouvoirs législatifs à l’Union européenne touchait à la fois au principe démocratique (les actes législatifs sont émis par le Conseil européen où les organes exécutifs des États membres sont représentés) et au principe fédéral (réduisant la souveraineté des Länder, leurs pouvoirs législatif et exécutif).

Le cas d’intérêt général le plus récent portait sur la construction d’un tunnel sur la ligne de chemin de fer Vienne – Basse-Autriche – Semmering – Styrie – Carinthie (qui continue vers l’Italie, la Slovénie et la Croatie). Une dispute constitutionnelle a

éclaté entre la Fédération et la Basse-Autriche à savoir si le statut légal du Land sur la protection de la nature pouvait interdire à la Fédération de construire un tunnel qui améliorerait l’efficacité d’une importante voie ferrée. Le Tribunal constitutionnel a étudié la question, et a statué qu’une loi sur la nature et la protection environnementale d’un Land devait tenir compte des différents intérêts, notamment celui de la Fédération à planifier, construire et administrer les chemins de fer. La dispute n’est toujours pas réglée : même si le parlement provincial de la Basse-Autriche a amendé la loi, l’autorisation de construire ce tunnel a encore été rejetée. Je crois que le Tribunal aura bientôt à se prononcer de nouveau sur la question.

Fédérations volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002

Votre Tribunal a statué sur des questions touchant aux droits individuels, aux droits de la personne et aux droits des minorités. Pouvezvous nous donner un exemple d’un jugement sur les droits des minorités?

Oui, une bonne partie des jugements rendus par le Tribunal touchent aux droits de la personne. La Convention européenne des droits de l’homme a le statut de loi constitutionnelle en Autriche et elle est directement applicable. Par conséquent, elle sert de base à bon nombre de jugements. Le Tribunal a récemment statué sur les droits des minorités,

une décision qui a

actuelle est

compte du

fait que la

grandement retenu

l’attention, car elle affecte le

Slovénie

statut de la minorité slovène

en Carinthie. Selon une

un État

disposition

véritable

(constitutionnelle) du Traité

d’environ

d’État autrichien de 1955,

deux

les minorités ont droit à des

millions

panneaux de signalisation

d’habitants,

(ville et route) bilingues. Mais dans quelle mesure doit-on accorder ce droit? C’est une question controversée, que le Tribunal a tranché en faveur de la minorité. Le jugement a été mal reçu, surtout en Carinthie, à cause de l’histoire particulière de la majorité germanophone et de la minorité slovène. Cette question a provoqué quelques disputes après la Première Guerre mondiale, et l’État nouvellement constitué de la Yougoslavie voulait annexer la région méridionale de la Carinthie. Un référendum a été organisé, et le résultat a favorisé l’Autriche. Après la Deuxième Guerre mondiale, la Yougoslavie a de nouveau réclamé une partie de la Carinthie méridionale. La Yougoslavie a bénéficié quelque temps de l’appui de l’Union soviétique jusqu’à la rupture entre Staline et Tito. En 1955, lors des débats entourant la rédaction du Traité d’État, les Soviétiques voulaient qu’on adopte une clause spéciale pour protéger la minorité slovène en Carinthie. Aujourd’hui encore, Vienne et la Carinthie ne s’entendent pas sur un point : dans quelle mesure doit-on accorder ce droit aux minorités? Nous verrons bien ce qui adviendra. C’est un sujet très délicat.

Sentez-vous un certain danger quand des politiciens s’attaquent brutalement au Tribunal?

Les attaques contre le Tribunal ne sont pas nouvelles, c’est la manière d’attaquer qui l’est.

Croyez-vous que cette situation se répétera souvent?

Non, je ne crois pas parce que le problème en est un spécial, propre à la Carinthie. On ne rencontre pas ailleurs en Autriche ce genre de problème. Presque toutes les familles de la Carinthie ont été, d’une manière ou d’une autre, impliquées dans le conflit opposant les personnes de langue allemande et celles de langue slovène. Tant que la République de Yougoslavie existait, un problème idéologique subsistait parce qu’il s’agissait

d’un état

communiste.

Il faut tenir

qui aspire à

entrer dans

l’Union européenne. Je crois qu’il faut trouver une solution. Je vous disais tout à l’heure qu’il s’agit d’un problème propre à la Carinthie, mais certains Slovènes ont aussi une mentalité nationale et nationaliste.

Comme je le disais, le Tribunal a rendu un jugement très en faveur de la minorité, et la plupart des Carinthiens n’ont pas compris pourquoi la décision était prise si longtemps après la ratification du Traité d’État et au cours d’une période de coexistence pacifique, comme ils disent. De plus, le cas était lié à certains problèmes particuliers concernant la juridiction du Tribunal et la manière de déclencher la procédure de révision des statuts parlementaires. Dans ce cas, un homme, membre bien connu de la minorité slovène, a traversé un village de Carinthie au-dessus de la limite de vitesse. Il a écopé d’une contravention, et a déposé une plainte au Tribunal constitutionnel alléguant que le fondement légal de cette contravention n’était pas correct étant donné que le nom du village aurait dû être inscrit dans les deux langues.

Ainsi, le Tribunal se trouve au cœur de la gestion de la diversité, du respect de toutes les différences humaines?

Oui, et c’est pourquoi nous statuons souvent sur des cas qui se rapportent aux droits de la personne. Je crois que plus de la moitié de nos cas traitent des droits de la personne.

Au Canada, il arrive fréquemment que le corps législatif ne se penche pas sur des questions controversées comme l’avortement ou l’euthanasie. Il attend que ces cas passent par les tribunaux. Mais les tribunaux canadiens renvoient maintenant la balle aux politiciens, en leur disant que ce sont des questions politiques sur lesquelles ils doivent légiférer. Cette situation s’est-elle produite en Autriche?

Non, nous ne renvoyons pas la balle parce que, dans certains cas, ce n’est pas possible. Je vous donne un exemple : l’homosexualité. Les relations homosexuelles entre une personne mineure (moins de 18 ans) et une personne majeure (plus de 19 ans) constituent encore un acte criminel – mais seulement pour les personnes de sexe masculin. La constitutionnalité du statut de cette loi a déjà été contestée une fois, sans succès, parce que le Tribunal a jugé raisonnables et non inconstitutionnels les arguments du législateur. Le Tribunal a également rejeté une autre demande (res judicata). Un tribunal de seconde instance se penche maintenant sur une troisième demande, et, dans ce cas, le Tribunal devra étudier la question d’égalité proprement dite.

Pour conclure, quels défis attendent le Tribunal, à votre avis?

Les cas qui aboutissent au Tribunal reflètent toujours la situation politique générale. La protection des droits sociaux sera une question très importante. Suite au 11 septembre 2001, de nouveaux développements légaux ont eu lieu; ils ne jouent pas un très grand rôle en Autriche, mais dans une certaine mesure, oui. Et la question de la protection des droits de la personne se pose étant donné que les forces policières peuvent maintenant recourir à de nouvelles techniques. Il s’agit d’une importante question constitutionnelle, qui, tôt ou tard, aboutira au Tribunal. Le statut des étrangers constituera un autre sujet difficile et délicat : même s’il est tout à fait impossible d’accorder aux étrangers le même statut que les citoyens, on ne peut pas leur imposer toutes les restrictions. Voilà une autre question sur la protection des droits de la personne.

Fédérations volume 2, numéro 4, juin-juillet 2002