Comment gouverne-t-on une capitale fédérale ?

PAR CAROLINE VAN WYNSBERGHE

La capitale d’un pays fédéral peut être un endroit passionnant – Berlin, Vienne, Buenos Aires et New Delhi, par exemple, ont une culture, une histoire et une ambiance imprégnées des siècles passés.

Mais toute capitale fédérale doit relever au moins deux défis de plus que les métropoles ordinaires :

  • répondre aux besoins des corps législatifs et des ministères, ainsi qu’aux besoins relatifs à la sécurité et à la diplomatie

  • ne pas sembler favoriser un État ou une province en particulier

Dans les fédérations comme dans les États unitaires, les capitales doivent garantir la sécurité des institutions d’État ainsi que celle des ambassades et des délégations étrangères. Les capitales des fédérations doivent aussi être un lieu de rassemblement où tous les habitants d’un pays doivent se sentir chez eux. De plus, les pays de grande superficie et lespays multiculturels – comme la Russie, le Canada, les États-Unis, le Brésil, la Belgique et la Suisse — doivent faire face aux difficultés supplémentaires que cela entraîne. Une capitale fédérale doit également susciter une certaine fierté nationale et aucune unité constituante ne doit être favorisée au détriment d’une autre, ni avoir l’impression d’être négligée de telle manière qu’une autre puisse en tirer profit. La diplomatie, l’impartialité et la neutralité sont dès lors des valeurs essentielles.

Les fédérations doivent être les garants ultimes de la neutralité de leur capitale, ce qui explique pourquoi elles se donnent le droit de prendre part à leur gestion. En effet, le conseil municipal d’une capitale peut se voir imposer des limites par les initiatives fédérales. La recherche de l’équilibre entre les intérêts locaux et fédéraux est l’élément central de la gouvernance d’une capitale fédérale.

Aucun modèle idéal

Il n’existe pas de modèle idéal ou de définition de ce que serait une capitale fédérale idéale. Chaque fédération doit donc trouver sa propre façon de faire. On retrouve cependant des caractéristiques-clés communes à toute capitale fédérale :

  • sa position au sein de la structure fédérale

  • son autonomie et ses compétences

  • son indépendance financière et sa gestion du budget

Caroline Van Wynsberghe est une doctorante en sciences politiques à l’Université catholique de Louvain en Belgique. Le sujet de sa thèse est : « Le statut des capitales fédérales dans le monde : des leçons pour Bruxelles ». En 2002, elle a été choisie par la Commission de la capitale nationale d’Ottawa pour effectuer une étude comparative sur les capitales fédérales.

  • sa représentation au parlement fédéral

  • son emplacement géographique

Politiquement, on distingue trois types de capitales fédérales :

  1. la ville-État

  2. la capitale au sein d’un État ou d’une province.

  3. le district fédéral

Les deux premiers types de capitales se

retrouvent, pour l’essentiel, en Europe.

Berlin, Bruxelles, Moscou et Vienne sont des villes-États, c’est-à-dire des agglomérations ayant également un statut d’unités constituantes de la fédération. Bien qu’étant une « ville fédérale », Berne est non seulement une capitale fédérale à part entière, mais également une ville dans le canton du même nom — et la capitale de ce canton ! Ottawa, la capitale du Canada, est unique en son genre en Amérique du Nord : il s’agit de la seule capitale fédérale considérée comme une ville au sein d’une unité constituante. La situation s’est un peu compliquée depuis que les ministères fédéraux canadiens sont situés tant à Ottawa (province de l’Ontario) qu’à Gatineau (province de Québec). Néanmoins, la ville d’Ottawa reçoit ses statuts de la province de l’Ontario.

Les districts fédéraux ont, quant à eux, une autonomie souvent limitée par rapport aux autres unités constituantes du pays. Washington, la capitale américaine, en est l’exemple historique. La configuration de la ville de Washington — située dans le district fédéral de Columbia, lequel fut constitué à partir d’unepartie des États du Maryland et de la Virginie — a inspiré les fondateurs d’autres districts fédéraux comme Brasília, Canberra ou encore Abuja (la nouvelle capitale nigériane). Mexico, Buenos Aires, Caracas, Kuala Lumpur, Islamabad et New Delhi sont également des districts fédéraux.

Qui détient le pouvoir dans les capitales fédérales ?

Les compétences d’une capitale fédérale varient selon le type de capitale dont il est question. Ainsi, les districts fédéraux ont souvent des compétences moindres que les autres provinces ouÉtats de la fédération à laquelle ils appartiennent. Brasília, aucontraire des autres États brésiliens, n’a aucune compétence légale en ce qui concerne le district et ce sont les autorités fédérales qui s’occupent des forces de l’ordre et des services de lutte contre les incendies de la capitale. Par contre, elle exercedes compétences locales dont ne jouissent pas les autres États de la fédération, ce qui est aussi le cas de Buenos Aires. Washington, DC, elle, n’a acquis son autonomie politique qu’en 1973. Enfin, dans la plupart des districts fédéraux, la planification urbaine est assurée par une agence qui dépend du gouvernement fédéral.

C’est également le cas à Ottawa, qui n’est pas la capitale d’une unité constituante. Cette situation ne se retrouve cependant pas à Berne, ni dans les autres capitales fédérales européennes.

Forum des fédérations

Fédérations vol. 5, no 1 / novembre 2005

Berne est avant tout une ville et les autres, en tant que villes-États, cumulent les compétences municipales avec celles d’un land (Vienne ou Berlin) ou d’une région (Bruxelles).

Les responsabilités propres aux capitales fédérales, telles que d’assurer la sécurité des institutions étatiques et de tenir le rang de première ville du pays, sont plutôt onéreuses. Certaines capitales reçoivent des transferts spéciaux pour faire face aux dépenses liées à leur statut spécial, tandis que d’autres n’en reçoivent aucun. Les sources de financement d’une capitale en disent long sur son degré d’autonomie. Ainsi, si le gouvernement fédéral joue un rôle dans l’établissement ou la gestion du budget de la ville, il peut exiger, en contrepartie, un droit de regard sur l’allocation des ressources. Inversement, si le gouvernement fédéral ne verse pas d’argent à sa capitale, celle-ci devra assumer toutes ses dépenses, mais il ne pourra alors être question de veto fédéral sur le budget de la capitale. La question de l’autonomie financière est ainsi double : la capitale reçoit-elle des transferts fédéraux compensatoires et est-elle libre de dresser son propre budget ?

En règle générale, les villes-États et les capitales au sein d’unÉtat ou d’une province n’ont pas droit à des transferts compensatoires en tant que tels. Elles peuvent bénéficier de divers degrés de participation fédérale, mais cela se limite le plus souvent aux domaines de la sécurité et de la culture. Les capitales européennes sont autonomes financièrement, mais c’est moins souvent le cas des districts fédéraux. Les deux exemples suivants illustrent cet état de chose. Dans les années 90, les finances de Washington ont été placées sous la responsabilité d’un comité nommé par les autorités fédérales et, aujourd’hui encore, le Congrès exerce un droit de regard sur le budget de la capitale américaine. Quant à Mexico, son budget est soumis par le président mexicain au Parlement fédéral, à la demande du chef du gouvernement du district, et doit être jugé valable par celui-ci

Qui représente les citoyens ?

Un autre point intéressant est la représentation des capitales au niveau fédéral. Les parlements fédéraux sont généralement constitués de deux assemblées, l’une représentant le peuple (laChambre basse) et l’autre les États fédérés (la Chambre haute).

Les capitales au sein d’un État ou d’une province n’étant pas des sujets fédéraux, il leur est difficile de justifier une représentation au niveau fédéral. Il est cependant beaucoupplus facile pour les villes-États et les districts fédéraux dejustifier cette représentation. En effet, les villes-États sont des unités constituantes à part entière, ce qui signifie une représentation identique à celle des entités de même niveau (les länder en Allemagne et en Autriche, les régions en Belgique). Par contre, les règles varient pour les districts fédéraux.

Abuja, Brasília, Buenos Aires, Canberra et Mexico disposent, dans des proportions différentes, de parlementaires dans les deux chambres. La ville de Washington, elle, n’a aucun sénateur et qu’un seul délégué sans droit de vote à la Chambre des représentants. Cette situation a entraîné l’apparition de mouvements revendiquant une représentation équitable. L’argument principal avancé est que les résidants du district de Columbia paient les mêmes impôts que les autres Américains et, de ce fait, ont les mêmes droits en ce qui a trait à la représentation de leurs intérêts au Congrès américain. En d’autres termes, leur représentation à la Chambre devrait à tout le moins correspondre à la population de la capitale. Il leur serait probablement plus difficile d’obtenir une représentation au Sénat, car cela pourrait être perçu par certains comme la reconnaissance de Washington, DC en tantqu’État américain.

Les capitales créées de toutes pièces et les capitales historiques

Un dernier élément important permet de classer les capitales fédérales en deux catégories : s’agit-il de villes fondées expressément pour remplir cette fonction ou existaient-elles déjà avant de devenir des capitales ? Celles qui ont été créées de toutes pièces pour accueillir les principales institutions fédérales ont une configuration et une atmosphère totalement différentes de celles qui existaient déjà avant de devenir des capitales ou de celles qui ont toujours été le centre politique du pays.

Les villes-États et les capitales au sein d’un État ou d’une province sont toutes historiques. Les districts fédéraux, par contre, sont pour la plupart des villes créées de toutes pièces. Dans le cas des districts fédéraux, l’important était d’assurer la neutralité nécessaire au développement d’une capitale fédérale. C’est pourquoi les gouvernements ont souvent préféré construire la capitale dans des zones encore inhabitées, bien qu’on ait aussi tenu compte d’autres facteurs, tels que le climat, l’accessibilité, la centralité géographique et la sécurité. Brasília, Abuja et Canberra ont été construites en s’inspirant du modèle offert par Washington alors que New Delhi a été construite comme une extension de « l’ancien » Delhi. Islamabad, quant à elle, a été créée parce que Karachi, déjà capitale de sa province, ne pouvait plus tenir ce double rôle. Par contre, Mexico et Kuala Lumpur sont deux districts fédéraux historiques.

Les capitales fédérales ont donc de nombreux points en commun, mais leurs caractéristiques peuvent évoluer avec le temps. On note ainsi une tendance depuis la fin du XIXe siècle à attribuer plus d’autonomie aux districts fédéraux, parfois en leur accordant davantage de compétences générales ou d’autonomie financière, parfois en permettant que leurs représentants locaux soient, pour la plupart, élus — plutôt que nommés par le président de la fédération. Les capitales au seind’un État ou d’une province et les villes-États, ont, quant à elles, toujours été plus autonomes.

La question de l’équilibre entre les intérêts locaux et fédéraux ne connaît ainsi pas de réponse unique et il n’existe pas de modèle magique qui pourrait fonctionner partout. On peut cependant présumer que, dans les pays démocratiques, l’équilibre idéal serait atteint par un système qui disposerait d’un mécanisme efficace pour trouver solution aux revendications et aux demandes de réforme contradictoires émanant tant des citoyens que des autorités fédérales ou locales – à savoir un système qui satisferait tant les acteurs fédéraux que les acteurs locaux.

Fédérations vol. 5, no 1 / novembre 2005 www.forumfed.org