Le projet de la nouvelle Constitution européenne contient des dispositions sur le partage des pouvoirs qui rapprocheraient l’Union européenne d’une fédération.
PAR UWE LEONARDY
En juin 2005, la nouvelle Constitution européenne aura été soumise au référendum dans plusieurs pays de l’UE – notamment en France, dont l’ancien président, Valéry Giscard d’Estaing, en a rédigé la première ébauche. Personne ne peut dire si elle va passer ou non. Dans certains pays, il est déjà question de lui apporter quelques modifications avant même qu’elle ne soit ratifiée.
Mais cette Constitution donne-t-elle une structure fédérale à la nouvelle Europe?
Certains critiques refusent d’y voir un quelconque élément fédéral. Mais déjà avant que la Constitution ne soit élaborée, l’UE avait d’importantes caractéristiques fédérales :
La répartition des pouvoirs : la répartition des pouvoirs législatifs entre les deux ordres de gouvernement – l’Union européenne et les États membres (y compris leurs régions)
– constitue l’élément fédéral le plus manifeste des structures européennes et la particularité première d’un régime fédéral.
Alors que ces caractéristiques existaient déjà depuis longtemps avant le projet de traité constitutionnel, celui-ci a continué à faire évoluer l’UE dans une direction fédérale.
• Le nom du traité est un programme politique en soi. Sa volonté « d’établir une Constitution pour l’Europe » montre bien que l’Union offre déjà certaines
Uwe Leonardy est l’ancien chef de la division relative aux questions constitutionnelles de la mission de la Basse-Saxe auprès du gouvernement fédéral allemand et ancien collaborateur scientifique supérieur au Centre d’études pour l’intégration européenne, à l’Université de Bonn. Il a rédigé l’article « L’Europe se dirige-t-elle vers une constitution fédérale? », paru dans Fédérations, vol. 1, no 5.
caractéristiques d’un pays. Le développement plus approfondi de cette configuration fait partie du programme politique d’un État fédéral, bien qu’il s’agisse en l’occurrence d’un fédéralisme unique en son genre.
• Les détails techniques et légaux de la Constitution constituent l’étape décisive vers une authentique structure fédérale de l’UE. La mise en œuvre de règles régissant le partage des pouvoirs législatifs entre l’Union et ses États membres est un signe clair de fédéralisme.
Les pouvoirs exclusifs et partagés
Jusqu’à présent, les clauses des traités de la Communauté et de l’Union ne prévoyaient que très peu de pouvoirs exclusifs confiés au niveau européen. En pratique, l’autorité exercée par l’UE découlait directement des grands objectifs politiques qui lui étaient assignés. Avec les années, les pouvoirs de l’UE ont augmenté et plusieurs de ses pays membres ont reconnu son autorité dans leur constitution ou dans l’interprétation constitutionnelle de leurs règles.
La répartition des pouvoirs est énumérée dans une liste qui définit quels sont les pouvoirs législatifs exclusifs et quels sont ceux qui doivent être partagés. À côté des pouvoirs partagés, l’Union dispose d’une compétence pour mener des « actions d’appui, de coordination ou de complément ». L’exercice des pouvoirs partagés – c’est-à-dire les priorités de l’UE – est régi par le principe de subsidiarité, l’une des caractéristiques principales des régimes fédéraux (voir encadrés).
La nouvelle « clause de flexibilité » – sujette à controverse et d’une grande portée – légitime l’Union à agir si « son action devait s’avérer nécessaire dans le cadre de la politique qui lui a été assignée […] afin d’atteindre l’un des objectifs fixés dans la Constitution et si celle-ci n’a pas déjà prévu expressément les
Fédérations vol. 4, no 4 / 2005
pouvoirs nécessaires » (voir encadré ci-dessous). Bien que la « clause de flexibilité » soit basée sur une disposition qui existait déjà (d’une portée plus faible toutefois), certains critiques considèrent qu’il s’agit d’un instrument dangereux.
La nouvelle partie de la Constitution soulève deux questions importantes :
Des défauts dans les règles
Le test le plus pertinent quant au choix des pouvoirs partagés de la Constitution est de déterminer s’ils sont conformes aux priorités européennes. Toutefois, le choix des pouvoirs partagés de l’UE ne se base pas sur des critères concrets
Article I-11 – Principes fondamentaux, 3e paragraphe (« Subsidiarité »)
En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par lesÉtats membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union.
Les institutions de l’Union appliquent le principe de subsidiarité conformément au protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Les parlements nationaux veillent au respect de ce principe conformément à la procédure prévue dans ce protocole.
Article I-18 – « Clause de flexibilité »
Pour en savoir plus :
Site officiel de la Convention européenne :
http://european-convention.eu.int/
Texte intégral de la Constitution :
comme le maintien de l’unité légale ou économique tels qu’exigés par la Constitution. Au contraire, en définissant les pouvoirs partagés, la nouvelle Constitution retire simplement les pouvoirs exclusifs de la liste des pouvoirs de l’UE et ajoute les « actions d’appui, de coordination ou de complément ».
Afin de limiter le droit de l’UE d’exercer ces pouvoirs partagés, la Constitution a recours au principe de subsidiarité sans toutefois lier son application à aucun critère légalement défini. Il faut reconnaître que cette façon de procéder ne satisfait pas entièrement les revendications pour un partage plus clair et plus efficace des pouvoirs entre l’UE et les États membres.
La subsidiarité a toujours été un principe légal ambigu et sujette à la manipulation politique. Elle aboutit à une solution en cercle vicieux. Dans le domaine des pouvoirs partagés, où les États membres continuent à exercer leur autorité tant que les institutions de l’UE n’en font pas usage, la validité de ces pouvoirs et les conditions de leur exercice ne pourront être clairement établies que par des critères concrets.
Mais il existe un autre facteur qui joue un rôle dans la détermination du partage des pouvoirs. La Constitution contient 202 clauses qui régissent les activités légales de l’Union dans un grand nombre de catégories (les lois européennes, les lois cadres, les règlements et les décisions). Mais aucune de ces dispositions n’a un lien juridique avec les règles de la Constitution sur le partage des responsabilités. La Constitution n’indique pas lequel de ces actes juridiques découle des pouvoirs exclusifs de l’UE, ses pouvoirs partagés ou d’autres pouvoirs. Dans ce sens, les règles sur le partage des pouvoirs semblent plutôt être de la rhétorique que de véritables normes constitutionnelles.
La « clause de flexibilité » confère au Conseil le pouvoir de modifier le partage des pouvoirs prévu dans la Constitution, sans avoir à amender cette dernière. Ainsi son incidence va bien au-delà d’une simple adaptation aux règles constitutionnelles existantes. Si l’on considère la quantité d’efforts à fournir pour aboutir à la ratification de la Constitution par tous les pays membres, alors il paraît disproportionné et très discutable d’accorder à l’UE le pouvoir de modifier l’équilibre des pouvoirs prévu dans la Constitution.
Pas une cause de rejet de la Constitution
Il y a effectivement des clauses dans la Constitution européenne qui devraient éveiller quelques inquiétudes. Mais on ne saurait en conclure que cela justifie le rejet de la Constitution, soit lors de la procédure nationale de ratification, soit lors des prochains référendums. Aucune constitution n’a jamais été parfaite dès le départ. Une constitution ne peut s’améliorer qu’à partir du moment où elle existe. Il faut par contre repérer ses défauts à temps.
Cela s’applique particulièrement dans la situation où l’UE doit prendre en considération la demande d’adhésion d’un nouveau pays. Si un jour la Turquie, l’Ukraine ou d’autres candidatures problématiques se présentent, l’UE devra faire preuve de créativité et être ouverte à de nouvelles idées. La création par un noyau de pays des « États-Unis d’Europe », doté d’un régime totalement fédéral, et le recours à ce nouvel État en tant que centre d’une Union européenne moins supranationale, pourrait être une de ces idées à retenir. Et il pourrait également s’agir d’une autre solution si le traité constitutionnel ne passait pas le cap des référendums.
Fédérations vol. 4, no 4 / 2005 www.forumfed.org